Isabel Lapointe

Je n’ai plus grand-chose d’un aventurier

Extrait du roman
Ventre à terre

- Tu as tous les détails maintenant.

- Ça va.

- Ma voix tremblante sonne faux.

- Enfin presque tous les détails. Je ne peux pas bander non plus.

- …

- En fait, ils m’ont proposé de me mettre une petite pompe, pour avoir une érection. Je pourrais ainsi donner du plaisir à une femme. Pour le moment, ça n’a pas été nécessaire.

- …

- Tu vas partir?

- Oui.

- C’est trop pour toi?

- Non. Je ne suis pas libre.

- Tu cherches quoi alors dans les sites de rencontres? Des aventures? C’est sûr que je n’ai plus grand-chose d’un aventurier.

- Je ne sais pas. Je cherche des rencontres, mais ça n’est pas pour de l’amour.

Je ne sais plus comment le quitter. Toute cette anormale rencontre est une queue de poisson depuis le début. Il m’est impossible d’y trouver une fin qui a du sens. Je choisis la simplicité :

- Merci. J’ai passé un beau moment. Malgré tout. J’espère que ça a été un petit chapitre sympa à ton histoire aussi.

- Oui. Je pense que oui. Malgré ta moustache.

- Ça compense pour ton air bête.

Idiots, nous sourions tous les deux. Je m’approche de lui, très près. Lui laissant le choix. Il s’avance pour poser sa bouche sur la mienne. Doucement, puis avide. Puis gourmand. Je monte sur lui, sur le lit, à cheval sur ses jambes inertes pour glisser mes mains dans ses cheveux, sur sa nuque. Sur cette cicatrice qui marque à tout jamais la fin de sa vie d’avant. La fin de sa vie. J’ai senti ses trois doigts crispés qui tentent avec raideur de caresser, d’agripper mes cheveux. Il frotte son visage dans mon cou sur ma gorge :

- Ton nom, comment tu t’appelles?

- Ève.

- Ève, laisse-moi ton odeur.

Sa voix est enrouée. Ses caresses maladroites, ses doigts un peu recourbés ne peuvent même pas se déployer pleinement pour qu’il puisse glisser toute la paume de sa main sur moi. Il s’éteint : «Va-t’en.» Comme un cri qu’il n’a pas la force de pousser. 

Sa main est retombée. Il s’est fermé. A détourné les yeux. Je pose doucement mes lèvres sur ses cheveux, à la naissance de son front. Quoi lui dire : «Bon courage, bonne chance? Ou tout simplement Adieu».

Je mets rapidement mon manteau et mes bottes, et je sors presque en me sauvant. Je me rends compte que de la sensation du froid mordant sur mes joues, précisément là où il y a des traces humides. 

Je ne lui ai même pas dit mon vrai nom.